Alice Legendre

juin 2023

Il y a des mots qui restent dans ma gorge depuis quelques semaines. Me voilà avec mon silence. Dire l’intime est une lutte permanente. Parfois, c’est impossible.

Ces mots, j’en fais des oiseaux dans une cage. J’ai conscience que les garder enfermés est un affront. Un jour, j’ouvrirai la porte. Peut-être que les oiseaux tomberont de fatigue ou de leur vieille mort. Comme tout ce qui se détruit dans ce monde. Ou, peut-être qu’ils voleront. Irons rencontrer d’autres oiseaux meurtris pour se lécher les plumes.

Si on ne croit plus au vol des oiseaux, à quoi on croit ?

Quand même, quelques mots sont sortis, hasardeux, coupables, étranges. Sinon, c’était vomir. Et des amies ont dit « je te crois ». Et j’ai recommencé à respirer. Elles savent les oiseaux dans la gorge et de temps à autre, elles viennent prendre de leur nouvelles.

Mes propres silences me font peur. Parce qu’ils deviennent silences en moi aussi. Je mets mes habits de silence. Je sors dans la rue avec. Et plus je les porte, plus j’oublie ce qu’ils sont. Et le silence ne porte plus son nom. Il se fond. Il se cache. C’est comme ça qu’il peut finir par disparaître, complètement. Et ne plus porter aucun nom. Ne plus exister. Et les oiseaux ne plus jamais chanter.

Il y a des jours où j’aimerais être une animale avec une grande fourrure. Une animale dangereuse. Pour m’allonger dans un coin. Au fond d’une forêt. Je ne voudrais pas chasser. Seulement me reposer sans qu’on vienne me chercher. Et sentir l’air du vent sur ma fourrure.

Hier, lors d’un atelier on a parlé des vêtements. J’ai repensé aux vêtements que je portais quand j’étais malade. Je portais exprès des vêtements que je n’aimais pas, informes, passés, laids. Mon corps malade ne méritait pas d’être orné. Je le mettais en pause. Je lui disais, tu auras droit d’être habillé correctement quand tu seras guéri, maintenant au travail. Guéris.

Mon corps malade que je n’observais pas. La seule partie que je n’acceptais de regarder, c’était ma cuisse lors des piqûres d’anticoagulant parce que j’étais allongée depuis bien trop longtemps. Je fixais l’aiguille arriver dans ma chair. J’avais mal. Et je souriais. Tant que j’avais mal, j’étais en vie. Tant que j’avais mal, j’habitais encore le même monde que toi.

Toi, chaque matin, je choisis tes vêtements minutieusement. Toi, tu dois être ornée chaque jour. Mon enfant. Qui trouble mes silences. Qui fait tellement de bruits de joie que je me rends compte que les oiseaux dans ma gorge en piaillent de plaisir.

Je voudrais ne pas te donner le mauvais exemple. Ne pas trop faire n’importe quoi avec ces silences-là. Je voudrais que tu puisses savoir que tu peux tout dire. Tout raconter. Sans craindre ce que je crains.

Et puis. j’ose penser qu’il faut parfois accepter le temps que prennent les silences. Je suis la première à penser qu’il faut parler et dire. Cela ne m’empêche pas de penser qu’on a le droit de le faire plus tard. Prendre soin des oiseaux. Les laisser reprendre des forces. Boire un peu d’eau, manger un peu de gaines, faire un nid. Et s’envoler, quand le vent et le soleil seront clément.

Vous pouvez retrouver le travail d’Alice Legendre et ses ateliers féministes d’écriture intime

https://www.instagram.com/alice_legendre_liber/
https://aliceangelelegendregmailcom.substack.com