“ Il existe un lien très personnel entre le sujet traité dans un mémoire et son rédacteur. Des questions viennent nous chercher aux endroits où nous sommes et ne nous laissent pas d’autre choix que de penser à elles. La recherche n’est pas à l’abri des préoccupations du monde, et c’est ainsi qu’elle a du sens. “ Eva ARNAUD (1)
Lorsque j’ai écrit ces mots pour la première fois en 2016, j’étais loin de me douter de la résonance qu’ils auraient aujourd’hui encore à mes oreilles.
En d’autres termes, rien n’est dû au hasard.
Rencontre de la voix et du sang
Par vocation, je me suis très tôt inscrit•e dans un parcours professionnel musical, d’interprète, de compositeurice, d’auteurice, de professeur•e de musique, répondant toujours à l’appel auquel je n’ai su me soustraire : la voix.
La voix est au cœur de ma pratique. Peu importe la discipline, elle me porte, m’interpelle, m’interroge, me fait vibrer et donne résonance et écho à mon être.
Et c’est ainsi que j’accompagne des personnes très diverses, depuis plus de dix ans désormais, à la rencontre de leur propre voix et, par extension, de leur propre corps.
En parallèle de ce parcours s’est dessiné celui, complexe et retord, d’un parcours personnel médical qui me conduira en juillet 2015 à un diagnostic de personne atteinte d’endométriose.
Et, de manière très frappante, après mon propre diagnostic, me sont apparus des élèves, leurs corps et leurs voix qui, sous mon regard, retranscrivaient des choses que je reconnaissais comme existantes dans ma propre chair. Je leur ai soumis l’idée d’une recherche de diagnostic d’endométriose mais sans plus m’y engager. C’était… Comme ça. Simple intuition.
Le lien de confiance qui se noue entre un•e élève et saon professeur•e est d’une puissance déroutante.
Un peu dans l’inquiétude de m’introduire là où je n’aurais pas à être, j’ai continué mon accompagnement pédagogique auprès de ces élèves, toutes de jeunes personnes, pendant que grandissait en elles l’intuition qu’en effet, il y avait quelque chose à creuser.
Certaines, de plus en plus nombreuses, revenaient le corps chargés d’un diagnostic sans appel : personne atteinte d’endométriose.
Mon sentiment était à chaque fois le même : soulagement et désolation.
Elles pouvaient enfin nommer les maux qui étaient les leurs mais se retrouvaient chargées de ce poids de la maladie.
Ont commencé à poindre en moi les questions. Qu’est-ce qui était en jeu pour qu’autant d’élèves atteintes d’endométriose me viennent ? Quels étaient ces choses que je semblais remarquer quand rien ne semblait avoir évoqué cette hypothèse à qui que ce soit jusque-là ?
Je dois bien avouer qu’avec un peu d’humour, j’en suis venue à me demander si, finalement et contre toute attente, l’endométriose n’était pas contagieuse… (2)
Dans le même temps, l’endométriose s’est mise à défrayer la chronique. On a pu en lire tout, et qu’importe quoi. Surtout n’importe quoi quand l’industrie pharmaceutique a compris l’intérêt financier que représentait une telle pathologie. Pourtant, aujourd’hui encore, les chercheureuses les plus de renommé•es se divisent lors de grandes conférences internationales sur ce que serait cette pathologie. (3)
En septembre 2019, je suis admis•e au sein de la dernière promotion du Diplôme Universitaire ayant pour nomination « Voix et Symptômes : Psychopathologies et clinique de la voix ».
Et à ce moment de ma vie, une question m’obnubile : quel est le lien entre endométriose et voix ?
Rencontre d’avec le silence
Une année durant je me questionne : Y a-t-il des symptômes qui se donnent à entendre dans la voix à travers la pathologie médicalisée qu’est l’endométriose ? Qu’est ce qu’est l’endométriose au-delà de la discipline médicale, et des plans physiques, physiologiques et biologiques ? Est-ce une pathologie du féminin ? Du sexuel ? Ou bien la source de la souffrance vient-elle d’ailleurs ? Y a-t-il un lien avec la filiation, l’affiliation, l’identification, l’identité, le trait unaire ? Y a-t-il une transmission au-delà de la question génétique, à travers l’épigénétique par exemple ?
L’endométriose a-t-elle une voix ?
Rapidement, j’ai supposé que cette pathologie dirait quelque chose que la voix ne peut pas ou ne suffit pas à faire entendre. Les questions se sont peu à peu muées en une seule : de quel ou quels traumatismes les symptômes de l’endométriose seraient les témoins ?
J’ai commencé à chercher dans quelles mesures l’expression vocale et corporelle du sujet dans l’espace du cours de chant permet de penser l’endométriose comme un symptôme de la voix du sang mise sous silence dans un corps porteur et/ou héritier d’un traumatisme.
Au moment de passer à l’écriture du mémoire qui viendrait consacrer cette année de recherche (4) : l’impossible page blanche à noircir, l’impossible cadre au dessin dont il fallait pourtant des contours, l’impossible légitimité à dire, l’impossible à s’entendre soi-même quand tout est dans nos mains, dans notre tête. Et le silence.
“ Le silence est un levier de l’analyse. Le silence est au cœur du travail analytique : silence assourdissant ou silence apaisant ; silence du corps ou de l’esprit ; silence de la plainte, de la rêverie. Silence côté cour et côté jardin. Angoisse du silence. Il n’y a pas d’analyse si le silence s’absente car il est l’indicateur du cheminement des mots. “ Claudie BOLZINGER (5)
Le silence est apparenté au vide. Il est souvent interprété comme l’absence de parole, sa rupture d’avec les mots. Alors qu’il n’en est qu’une composante à part entière, illustration parfaite, s’il en est une, de la fécondité du chaos (6).
J’ai fini par (re)trouver ma propre voix. Accompagnée de plusieurs personnes dont les ressources ont été inestimables pour la rédaction de cet écrit, parsemée de grands coups d’éclats, de doutes et de craintes, j’ai pu faire tisser de ma main, les premières ébauches de ce qui deviendrait La Voix de votre Libération.
Elle fut d’abord la mienne.
Ma voix, liée à toute la force de vie qu’est mon sang.
Notes
(1) Eva ARNAUD, Perception de la pratique instrumentale et du genre : répercussions actuelles sur l’accès au milieu musical, 2016
(2) Précisons ici qu’il n’en est rien
(3) Dan MARTIN & David REDWIN, « Great debate on the origins of endometriosis »
https://www.endofound.org/dan-martin-david-redwine-great-debate-on-the-origins-of-endometriosis
(4) Eva ARNAUD, La voix du sang violé•e : l’endométriose comme symptôme du silence, 2020
(5) Claudie BOLZINGER, « La voix du silence en psychanalyse », dans Sigila 2012/1 (N° 29), pages 59 à 69
(6) Dominique BERTRAND, « Orphée : La Fécondité du Chaos », Signatura, 2016