Je cherche à résoudre.
Je tourne en boucle, je rumine, depuis si longtemps, les mêmes idées. Est-ce que c’est une conséquence du traumatisme de devoir faire toujours ça ?
» Triste tigre « , Neige Sinno, P.O.L, 2023, p. 123
Depuis 3 mois, je cherche à résoudre.
À boucler la boucle que j’ai moi-même initiée.
Cela fait désormais 9 mois que je tisse entre Voix, violences sexuelles et endométriose.
Cela fait bien plus longtemps que je tente de poser la trame de la Voix de la Violence.
Il est venu le moment de boucler la boucle. De cracher le morceau. De dire où je veux en venir.
Parce que c’est pas pour rien que je divague comme ça, de manière plus ou moins directe, plus ou moins simple, avec des pensées plus ou moins complexes, depuis tout ce temps.
Mais c’est trop dur. Parce que poser un dernier épisode à ce cycle, ce serait conclure. Et je ne veux pas conclure. Y a rien à conclure. Y a rien à figer. Aucun absolu à poser. C’est pas une vérité.
Ces précédents épisodes relatent l’errance qui a été et qui reste la mienne ces dernières années, les questionnements, la recherche, les découvertes, l’éclairage, la compréhension et par-dessus tout l’innommable, l’incompréhension, l’incompréhensible, le non-sens, l’absurde.
Le tabou, dans notre culture, ce n’est pas le viol lui-même, qui est pratiqué partout, c’est d’en parler, de l’envisager, de l’analyser.
Triste tigre « , Neige Sinno, P.O.L, 2023, p. 24
Oui, oui. Tout ça reste absurde. Tout ça est absurde.
Je veux dire, à quel moment ça sonne intelligent de vouloir mettre du sens à quelque chose qui n’en a pas ?
À quel moment ça tient de la logique de rechercher le sens psychique du viol chez la personne actrice et d’écrire sa voix ?
Et pourtant, c’est un non choix. Y a pas le choix. Je n’ai pas eu le choix. J’ai dû et probablement que je devrais toujours chercher à y mettre un sens.
C’est une fuite vers l’avant pour ne pas finir aspiré dans le gouffre du néant, de l’absence de tout. C’est la renaissance du chaos.
Et voilà ! Je recommence. Je repars dans des trucs ésotériques, je divague pour pas en venir à là où je voulais aller. C’est fou cette névrose !
Mais parce qu’en fait je veux pas conclure. Non. Pire ! Je peux pas conclure !
Parce que je vous ai pas dit la moitié de ce que j’ai compris.
Parce que, découpé comme ça, en petits bouts d’à peine 10 minutes, ça n’a, une fois encore, aucun sens.
Ça raconte le morcellement.
Rha toi ! Toujours à vouloir mettre du sens ! Oui je sais ça ! Merci !
Mais justement. C’est chiant !
Et pis, le morcellement… ça fait combien d’années qu’on essaie d’en sortir du morcellement ? Combien d’années qu’on tente de recoller les morceaux pour reconstruire ?
Voilà, je croyais qu’il me restait plus grand chose à dire sur tout ça, que j’avais déposé les bases mais en fait, rien du tout.
Parce que je vous ai pas raconté ce que je crois avoir compris du transgénérationnel et des effets des traumatismes qu’on se refile, comme ça, avec tout notre amour, de générations en générations, quoiqu’en dise les détracteurices de la théorie de l’épigénétique, qu’iels aient tort ou raison.
Je vous ai pas raconté le lien que je fais entre violence sexuelle et endométriose. Et que non, il revient pas de dire que si on a de l’endo c’est qu’on a subi, ou l’inverse. Ce raccourci n’a aucun sens lui non plus.
Je vous ai pas raconté le rôle de la Voix que j’identifie comme essentiel dans tout ça.
Ni que c’est pas juste psychologique ou anthropologique ou psychique ou sociologique ou… Que c’est un grand mélange de tout ça et que je trouve bien dommage ces guerres de chapelles où les un•es auraient plus raison que les autres sur l’explication qu’iels donnent à tout ça.
Parce qu’entre nous, est-ce que ce qui compte le plus ce n’est pas plutôt de ne rien louper, d’observer l’objet sous tous les angles pour pouvoir le décrire au mieux ?
Bref, j’arriverais jamais à structurer ma pensée pour vous la rendre intelligible et entendable.
J’arriverais jamais à fabriquer un objet qui me permette d’aller au bout de ma pensée arborescente et qui ne s’arrête jamais. Par nécessité. Pour survivre.
Mais tu t’arrêtes donc jamais ?
Jamais. Malédiction et promesse à la fois.
Je n’y arriverai jamais parce que ce n’est pas possible.
C’est sans fin.
C’est infini.
Mais du coup, même si ça part dans tous les sens cet épisode, je vais le faire.
Je vais le dire.
En raccourci.
Mettre en lumière.
Du moins je l’espère.
On pourrait se dire que ça n’a peut-être pas d’importance, qui parle exactement, d’où vient ce récit, de quel esprit. Pourtant il ne serait pas le même, selon de quelle vie il provient. Je suis ces trois filles et bien d’autres encore, je porte en moi toutes ces voix.
Triste tigre « , Neige Sinno, P.O.L, 2023, p. 82
𝗥𝗲𝘀𝘀𝗼𝘂𝗿𝗰𝗲𝘀
« Triste Tigre », Neige Sinno, P.O.L, 2023