La voix est le fil conducteur de ma vie, le lieu de rencontre entre le corps, l’émotion et l’expression. 

Pourtant, il a été des moments où elle a disparu, où elle s’est figée, piégée par le silence et l’effroi dans mon corps.
Ces moments arrivent encore, parfois, quand les mémoires remontent.

Dans l’espace d’observation que j’ai ouvert avec vous, endométriose, voix et violences sexuelles s’entremêlent. Elles s’entrelacent, se croisent, se répondent.
C’est de ça dont je parle depuis des mois. C’est un angle d’observation. Une porte ouverte. 1000 autres sont possibles mais ce ne sont pas les miennes. 

Moi la mienne, c’est ce lien que je veux explorer, comprendre, analyser. L’endométriose comme une voix. Une voix qui parle pour un corps. Un corps qui a subi des violences à caractère sexuel.

Une voix qui s’exprime autrement, là où les mots manquent. Une voix qui prend la forme d’une maladie, parce que c’est la seule manière de raconter ce qui a été vécu.

C’est cette histoire-là que je veux raconter, avec vous. 

Je veux poser un dernier épisode à ce cycle. Un dernier épisode pour ne pas conclure.

Mais du coup même si ça part dans tous les sens cet épisode, et ben je vais le faire, je vais le dire, en raccourci, juste mettre en lumière, du moins je l’espère.


Quand une violence à caractère sexuel survient, elle laisse des traces profondes. Pas seulement dans la mémoire, mais aussi dans le corps.

Le trauma, c’est un choc. Un événement brutal, imprévu, que la personne victime n’a ni voulu ni provoqué. Ce choc fige la voix. La peur, l’effroi, le silence prennent toute la place. La voix, ce fluide vital qui permet de dire, de crier, de se défendre, se bloque et, parfois, disparaît.

Le corps, lui, n’oublie pas. Le corps n’oublie rien.
Même si la personne meurtrie semble aller mieux, le corps réagit, parfois tout de suite, parfois longtemps après.
Les petits morceaux de soi brisés cherchent à se rassembler pour exprimer.
Parfois, cela se manifeste par des douleurs, des maladies.

La corrélation Corps/Esprit est encore très discutée voire décriée aujourd’hui pourtant la rupture du lien corps et esprit, c’est Descartes qui l’ancre dans son œuvre majeure, Méditations métaphysiques, au XVIIe siècle. Cette approche mécaniste permet des avancées importantes en anatomie et en physiologie. Mais s’y accrocher aujourd’hui ne nous fait-il pas perdre une partie de notre capacité à observer un objet dans son ensemble ?

L’endométriose est une maladie où des tissus ressemblant à la muqueuse utérine, sans en être, se déplacent et se fixent à des endroits où ils ne devraient pas être. La présence anormale des tissus cause tout un tas d’autres maladies organiques et fonctionnelles, la douleur, la fatigue, les dysfonctionnements associés, la comorbidité…

Les scientifiques étudient plusieurs pistes à l’origine de la maladie mais à ce jour, tout est encore très flou.

Je suis les études, je veux tout savoir, tout comprendre, ne rien louper.
J’observe, je note, j’analyse.
Je regarde les corps chanter, les corps bouger, les corps respirer.
J’apprends la résonance du corps. Ses espaces pleins, remplis, vibrants.
Mais aussi ses nœuds, ses blocs, ses vides, ses trous.
Je compte aussi. Le nombre d’élèves qui m’arrivent et qui semblent porter ses symptômes sans qu’aucun mot de soit dit. Je fais des estimations, je spécule, j’imagine que, je suppose, je crois deviner, j’évoque parfois timidement et puis… De temps en temps je me permets, je suggère, un diagnostic peut-être ? Des examens complémentaires ? Les élèves reviennent, les diagnostics sont là, je ne me suis pas trompé. C’est vertigineux. Ca n’a rien d’agréable d’avoir raison dans ces conditions.

Je me forme, toujours plus loin, toujours plus précisément.
Sur le chant et le corps qui lui donne vie.
Sur l’endométriose et le corps qui en est l’hôte.
Sur la violence à caractère sexuel et le corps qui en porte les stigmates, génération après génération.
Le corps physique, le corps social, le corps familial.

Et une idée émerge : un trauma émotionnel aussi puissant et systémique que celui de la violence à caractère sexuel agit sur le corps, sur tous les corps.

Le trauma, avec son impact sur la psyché, doit jouer un rôle dans ces changements. Le sang, la voix, tout est lié dans le corps. Quand quelque chose ne peut pas être exprimé, il trouve d’autres chemins. Le corps parle à sa manière, même dans la douleur.

Ce pourrait être une idée qui aide à comprendre pourquoi l’endométriose s’aggrave avec le stress, pourquoi elle reste malgré les tentatives thérapeutiques. Comme si le corps continuait de raconter une histoire qu’il n’a jamais pu dire à voix haute.

Bien sûr, observer l’endométriose sous cet angle et poser la question de son origine dans ce champ d’observation est un risque. Celui de se faire accuser par des adelphes de vouloir “remasteuriser” les vieilles théories du XIXe siècle, de changer le packaging pour reprendre les idées qui ont fondé la grande hystérie. Mais pire encore que de se faire cancel par les personnes dont a reçu et à qui on a donné du soutien est le risque qu’une fois encore, le grand Patriarcat s’empare de cet espace d’observation, de questionnement, de recherche pour s’en servir à psychiatriser les personnes atteintes d’une maladie qui n’a rien de fabulatoire et dont la souffrance et les conséquences physiques sont réelles. Une violence de plus comme s’il en fallait une.

La violence laisse des traces. Pas seulement sur celles et ceux qui la vivent directement, mais aussi sur les enfants, les petits-enfants. Cette transmission du trauma, de génération en génération, est une réalité.

Les femmes et les enfants ont subi, subissent et subiront encore des violences. Ces violences sont infligées simplement parce qu’iels sont femmes ou enfants. Elles s’inscrivent dans nos corps, dans nos mémoires, dans notre culture, dans notre Histoire depuis des siècles.

Aujourd’hui, des voix s’élèvent. Les paroles sur les violences sexuelles, sur les violences faites aux femmes, aux minorités, aux enfants, prennent enfin de la place. La voix du corps social crie sa douleur. C’est un mouvement puissant, libérateur. En même temps, une autre parole se libère : celle des personnes atteintes d’endométriose.

L’endométriose, cette maladie longtemps tenue dans le silence, invisible, ignorée, se dit maintenant à haute voix. Et si ces deux explosions de parole – celle sur les violences et celle sur l’endométriose – étaient liées ?

Le lien est une coïncidence, peut-être. Mais je ne peux pas ne pas me demander.

La maladie, comme la violence, était enfouie, cachée, tu. Mais elle était là, tapie dans l’ombre, prête à surgir. Aujourd’hui, on en parle enfin. La voix de la maladie, tout comme la voix de la violence, se fait entendre.

L’endométriose pourrait être, d’une certaine manière, une expression du corps. Une forme de résistance. Quand le corps souffre et que les mots manquent, il trouve d’autres façons de parler. Le mal, jusque-là réduit au silence, se laisse entendre.

Accepter cette idée, c’est un acte militant. C’est une observation féministe, engagée et radicale. Dire que l’endométriose est liée aux violences vécues par les femmes, les enfants, c’est remettre en question des siècles de domination, de violence et de silence imposé. C’est venir dire au patriarcat : regarde ! Regarde ce que tu fais à nos corps quand tu penses agir sur nos corps sans que cela se voit.

Et si, en écoutant ces corps malades, on écoutait aussi une histoire de lutte et de survie ? Si l’endométriose, malgré la douleur, devenait une expression de vie ? Une manière pour le corps de dire : ça suffit, une manière pour le corps de réclamer une justice, une reconnaissance.

Alors, écouter ces corps, écouter ces voix figées, c’est important. Car derrière la maladie, il y a une histoire de souffrance, de silence. Une histoire qui demande à être entendue, pour permettre un vrai chemin du soin.

Nous avons aujourd’hui une chance : celle d’entendre ces voix. Celles des victimes, celles des malades, celles des corps, celles des femmes et des enfants. Elles nous appellent à agir, à changer. À ne plus laisser le silence gagner.

Car rien, rien ne doit plus jamais résister à la voix.

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Je suis Eva Arnaud.
Je suis artiste et pédagogue, et je vous parle de là où je suis, de là où je vibre, de là où je vocalise.
Je vous parle de la voix de votre libération.

C’est ainsi que j’ai conclu chaque épisode jusqu’ici. La Voix de votre Libération a été mon étendard, le cœur battant de mon travail durant 4 années. Mais aujourd’hui, ce chemin parcouru avec vous, ces récits partagés, ces silences brisés, m’ont conduit.e à un tournant.

Je choisis aujourd’hui de revenir à l’essentiel : mon nom, Eva Arnaud. Et de le porter avec simplicité : artiste et pédagogue de la voix. Cette transition marque aussi la naissance d’une nouvelle démarche : la Pédagogie Restaurative par la Voix.

Merci d’avoir pris ce temps avec moi. Merci d’avoir écouté ce que la voix et le corps avaient à dire, même dans leur douleur, même dans leurs silences. Chaque mot, chaque histoire partagée, c’est une pierre jetée dans les eaux calmes du déni, un écho qui refuse de s’éteindre.

Un merci infini à Carole Bauduin, co-réalisatrice de chaque épisode de cette série. Merci pour son oreille, ses compétences, mais aussi et surtout pour sa rigueur, sa perspicacité, sa présence et son engagement.

Merci aussi à toutes les personnes qui ont participé de près ou de loin à cette série. Merci à celleux dont les “simples” retours m’ont permis d’aller jusqu’au bout. Et pour finir, merci à celleux dont les récits de parcours, les échanges, la pair-aidance, les entretiens ont nourri cette étape de recherche.

Dans le prochain épisode, je vous parlerai de cette approche qui me tient à cœur. Pas un remède miracle, pas une promesse creuse, mais un chemin. Une façon de retrouver ce lien avec soi-même, de réapprendre à dire, à respirer, à vibrer. Une manière de transformer le poids du trauma en une force qui ouvre des possibles.

On se retrouve bientôt. Pour continuer à parler. À crier, peut-être. À libérer ce qui doit l’être.

†


𝗥𝗲𝘀𝘀𝗼𝘂𝗿𝗰𝗲𝘀
(1) “Le corps n’oublie rien”, Bessel van der Kolk, Éditions Albin Michel, 2018

(2) “Méditations métaphysiques”, René Descartes, Presses Universitaires de France, 2023

(3) “La chronique santé de Thierry Lhermitte“, France Inter, 25 mars 2024. URL : radiofrance.fr

(4) En 16 années d’enseignement, avec environ 480 élèves par an dont en moyenne 10 nouvelleaux élèves en chant individuel, ce n’est pas moins de 20 élèves concernæs que je dénombre aujourd’hui 

(5) Les travaux apportant des avancées significatives dans la compréhension de l’épigénétique des traumatismes, dont ceux d’Isabelle Mansuy, explorent la transmission intergénérationnelle des expériences de vie. Bien que ce domaine en pleine évolution suscite encore des débats quant à l’étendue et aux mécanismes précis de ces transmissions, ainsi que des préoccupations générales au sein de la communauté scientifique concernant ce champ de recherche émergent, ils ouvrent des perspectives prometteuses sur les liens entre environnement et biologie.
“La transmission épigénétique des traumatismes“, Bernard Guzniczak, entretien avec Isabelle Mansuy, Les Cahiers Dynamiques, 2022/2, n° 80, pp. 6-12, URL : cairn.info
“Traumatismes en héritage“, YouTube, mise en ligne par Cité des sciences et de l’industrie, date de publication. URL : youtube.comv