D’abord, il y a le trauma.
L’événement qui survient à mes dépens, en dehors de mes choix, de ma volonté, de mon désir, de mes pulsions même, tiens, s’il faut en parler.
C’est l’imprévisible. Ce à quoi je ne m’attendais pas. Ce à quoi je n’étais pas préparæ.
Le trauma c’est le choc. Le point d’impact. L’accident. Le T0. Ce qui n’aurait jamais dû arriver et dont je ne suis pas responsable. 

Non. Je n’ai rien fait pour que ça m’arrive. Ni avoir la mauvaise attitude, le mauvais comportement. Ni être au mauvais endroit, au mauvais moment. Ni même porter la mauvaise tenue vestimentaire.
Non. Je n’ai rien fait de tout ça. Je n’ai pas fait de mauvais choix.

Je n’ai rien fait pour que Ça m’arrive. Rien.

Le trauma ne se nomme pas. 
Il n’a pas de mot, pas d’image, pas de son, peut-être même pas de ressenti.
La trauma n’a pas de voix.

Je n’ai pas su dire non.

Je n’ai pas pu crier.

J’ai voulu mais rien n’est sorti.

La bouche ouverte. Le cri au bord des lèvres. Ou bien coincé dans la gorge à tel point qu’il brûle, brûle, brûle. Mais jamais ne sort.
J’ai refermé ma bouche. Rien n’est sorti. Je n’ai rien dit.

Je n’ai plus de voix.

D’ailleurs, rien ne s’est passé, rien ne s’est produit.
Je veux dire… C’est comme si je n’étais plus là.

Un grand blanc m’a envahi. Un froid infini comme jamais je n’en ai ressenti. Je suis sorti·e de moi. Je me suis quittæ moi-même.

C’est une absence, un départ duquel on ne revient jamais vraiment.
C’est une éclipse de soi.

C’est l’effroi.

L’effroi, c’est l’état dans lequel je suis projetæ au moment du trauma.
C’est un état de saisissement très particulier. 
C’est l’envahissement par le néant de tout mon corps, de toute ma tête, de l’organique et du psychique.
C’est la fracture, la déchirure du voile fantasmagorique qui me permettait de maintenir à distance Thanatos et ses ailes d’apocalypse, jusque-là.
C’est la rencontre d’avec la brutalité du réel et de la finitude de toute chose. C’est la rencontre d’avec la mort.
C’est ce même réel qui, en traversant mon appareil psychique, en a chassé toute représentation et tous les affectes qui leur sont liés.
C’est le vide complet de la pensée.
Je ne ressens rien. Ni peur, ni angoisse.

De l’effroi, on ne peut rien en dire. 
C’est ce qui se passe pour le sujet avant même que ne surgisse l’angoisse. 
C’est l’absence révélée comme telle.

Ici s’entend l’indicible, ce que l’on ne peut dire. Ce que l’on ne peut exprimer.
C’est la rencontre d’avec ce qui n’a pas de langage, ni aucune représentation symbolique. C’est la perte de sens, de ce qui se laisse voir et entendre.

L’effroi, c’est très court. Ça ne dure pas longtemps. Sa durée est très brève. Cette absence d’émotion est très brève. Rapidement après le choc, survient l’angoisse. Et c’est le traumatisme qui fait irruption dans chaque recoin de mon intérieur. Comme une réponse, soudaine et violente au néant, au trou du trauma.

Mais ma voix, elle, ne revient pas. 
Elle est figée. Ce froid glacial qui m’a rempli le corps à la rencontre d’avec la mort l’a figée. Elle est figée. Elle ne peut plus vibrer. Elle ne résonne plus.
Je ne suis même pas sûr·e de savoir si elle m’habite encore.

Mais alors, où serait-elle passée ?