Il y a ces corps. Qui se meuvent. Qui parlent. Qui chantent. Qui se drapent d’une voix. D’une voix qui est la leur tout en étant celle des autres. D’autres. De petits. De grands. Avec des majuscules ou bien seulement comme ça, sans artifice. Ces voix qui crient. Ou bien qui sont murées, rendues muettes, réduites au silence. Si seulement elles ne l’ont pas choisi.

Il y a ces corps. Qui bougent. Et d’autres, qui sont figés. Il y a ces corps qui bougent et sont figés. Tout à la fois. En différentes parties, en différents endroits. Qui sont découpés, en partie, en morceaux, morcelés. Et murés. Dans le silence du non-dit. Ou bien l’absence de souffle. Dans la rupture d’avec la résonance, d’avec les vibrations.

Il y a ces corps qui ont ces morceaux avec ces parties qui s’agitent et qui vibrent d’une puissance meurtrière et d’autres qui meurent d’absence d’air, de souffle, de mélodie et de silence.

Il y a ces corps qui entrent en scène pour jouer cette partition savamment écrite par une psyché qui donne vie et protège : opéra pour un corps qui se vit même meurtri. Avec le trauma et par-delà la stupeur et l’effroi. Orchestration par la voix et le sang, tous deux amis fidèles et de longue date qui se lient dans l’être du sujet fait humain. Tous deux fluides de vie, source de mort dans le cycle fécond du chaos.

Il y a ces corps qui disent, dans la tranquillité de l’ordinaire, le chemin de croix de la souffrance qui se trace sur les actes d’imagerie après de longues années de va-et-vient dans le corps médical et les services d’urgences : hémorragies, inflammations, troubles hormonaux, digestifs, de l’humeur, de la psychologie. Des corps dans un corps. Un corps qui ne trouve pas de sens. Pas de suite. Pas vite. Qui ne sait pas prendre en charge. La charge de ce qu’il ne sait pas nommer, mal percevoir.

Il y a ces corps qui creusent le fond du lit par leur longue présence, qui se tiennent à bout de bras à la barre du transport en commun, qui s’écroulent sous l’effet foudroyant de la douleur en pleine rue, qui ne sont pas vraiment sociables parce que les sorties le soir, c’est trop tard pour eux, qui chancellent sous le gris de la déprime, même en plein été.

Et il y a ces voix. Qui ne crient plus, pas, jamais. N’ont jamais pu. Parce que c’est impudique. Parce que c’est effrayant. Parce que c’est tabou. Parce que c’est risqué de ne pas entendre son propre écho, comme le buveur de sang ne retrouve pas son reflet dans le miroir. Parce que ce serait risquer d’entendre son effroi. Le vide, l’absence, le néant.

Il y a ces voix donc qui ne vibrent pas dans l’air mais qui trouvent résonance dans les corps. Qui cherchent à vibrer coûte que coûte car rien, rien ne résiste à la voix. Rien ne résiste au fluide. Rien ne résiste au sang. Aucune retenue, aucune rétention. Aucune mise sous silence, forcée ou inconsciente.

La voix et le sang fuient et se trouvent une place. Peu importe qu’on les y ait invités.